De nouveau sur les rails

I

A bout de souffle, elle réussit à monter dans le train juste avant que le contrôleur ne donne le dernier coup de sifflet. Elle prend quelques secondes pour reprendre ses esprits, pose son sac de voyage sur la montagne de valise qui se sont accumulées avant qu'elle n'y ajoute son petit complément, qu'elle se félicite d'avoir bien choisi au passage : un "boudin" qui se tord et se faufile dans les plus petits espaces avait toute son utilité dans ce genre de situation. Elle entre dans le wagon, rempli de familles qui voyagent avec leurs enfants en bas âge. Logique en cette période de fêtes. Heureusement pour sa santé mentale, elle avait pris ses écouteurs ! Elle note le numéro de sa place, espérant se retrouver à la fenêtre. Pour une fois, la chance lui sourit : elle est non seulement du côté souhaité, mais il n'y a personne à côté. Au moins une heure de trajet pendant laquelle ses jambes auraient la liberté de s'étendre... Elle s'installe, sort des écouteurs de son sac, au bout desquels il y a son vieux mais non moins fiable et précieux baladeur. Elle s'empresse d'ailleurs d'en démêler les fils, souffrant déjà des cris d'enfants mécontents deux rangs plus loin. Elle appuie enfin sur "play", pousse un soupir et ferme les yeux afin de se détendre...

Ils ne se sont pas vus depuis des années... Comment est-ce que ça va bien pouvoir se passer ? Bien sûr, ils parlent beaucoup, il la connait certainement plus que la plupart des gens avec lesquels elle passe ses journées, mais elle a la peur au ventre à l'idée qu'ils se revoient, est effrayée que ce ne soit pas du tout ce à quoi elle s'attend. Enfin, il n'y a qu'une façon de le savoir, c'est de sauter le pas, et puis, de toute manière, elle est déjà dans le train. A quoi bon se poser des questions de midi à 14 heures, elle arrive dans une heure et il l'attendra à la gare.

Elle se souvient de ces moments passés avec leurs parents quand ils étaient petits, elle se surprend à sourire en pensant à cette photo où ils se donnent la main... Si ils avaient imaginé qu'ils se reverraient comme ça à cet âge, ça leur aurait fait un drôle d'effet ! Surtout après ce week-end passé avec leurs pères et cette expédition au Nord de l'Espagne qui leur avait coûté une nuit de sommeil en moins et une journée à s'endormir sur la route... ce qui n'aurait pas posé de problème s'ils ne voyageaient pas en moto !!!

C'est une belle histoire qui avait commencé là... Le début d'une complicité sans sous-entendu ni profit, d'une amitié sincère qui manquait cruellement dans leurs vies respectives. Enfin, pour sa part, c'est à ce moment que le soutien tant espéré s'était évaporé de la part de son entourage depuis quelques semaines, par crainte ou peut-être simplement par lassitude.

Encore une heure et ils se verraient. Elle sent son portable vibrer. Il vient de lui envoyer un message pour confirmer l'heure de son arrivée et la provenance de son train : "il ne va pas m'attendre sur le quai, quand même ?!" se dit-elle, anxieuse. Oh et puis, après tout, qu'est-ce que ça change ?

En tous cas, ça lui fait du bien de partir après toutes ces histoires... Pas besoin d'une occasion comme le Nouvel An pour nourrir les hostilités. Elle sera loin d'eux et ça lui convient parfaitement... Sa mère a eu raison de la pousser à partir : il n'y a que lui avec qui elle a envie de se trouver pour fêter cette nouvelle année, et l'idée que Chad ne le sache pas et ne le réalise qu'au moment où il pense qu'elle est à sa disposition ne lui déplait pas... Il ne le comprendra peut-être même pas avant qu'elle ne revienne.

Vingt minutes !

Le stress monte vraiment quand elle lit l'heure. Allez, il faut se détendre et penser que ce n'est que la consécration de ces mois à attendre de pouvoir se revoir. Rien que ça ! Mauvaise tactique pour oublier l'angoisse. Il va falloir travailler sur la gérance de ce genre de situations !

C'est assez étrange. Elle est enfermée dans un train, assise sur un siège en 2e classe, qui n'a donc logiquement pas les vertus d'offrir beaucoup d'espace, et souffre de la chaleur causée par le chauffage réglé à trop forte température, mais elle a l'impression de respirer, de se sentir enfin libérée après des mois d'enfermement. Rien à voir avec une histoire de parents trop stricts sur les heures de sorties, mais avec un sentiment d'étouffement qui ne la quitte plus depuis la fin de l'été. Ces quelques jours sont sa porte de sortie, le moyen de peut-être repartir de zéro, du moins de faire le point sur ce qu'elle ferait à son retour sans avoir de pression de la part de personne.

Le train arrive.

Elle parcourt le quai : il est en haut des escaliers, elle le sait, mais elle ne le voit pas encore. Il est là, au milieu de tout un fouillis de personnes floues, et il lui tend les bras avec un grand sourire !

"Amy !"

A ce moment, elle a une certitude : ça va être génial !

A.W.